Comment vous êtes-vous retrouvé à être invité à la Sûreté du Québec ?
J’ai rencontré Cédrick Brunelle en 2018 lors d’un voyage au Québec. Une connaissance travaillait au poste de Victoriaville qu’il dirigeait.
La mayonnaise a très rapidement pris avec lui et nous avons conclu la rencontre par un « chiche que tu viennes en Suisse ! ».
Cédrick a été accueilli en Valais en avril 2019 pour un stage au sein de la Police cantonale. C’est lors de ce voyage qu’une deuxième mayonnaise a été montée, et bien montée, celle qui a vu de nombreux échanges entre la HC Police cantonale valaisanne et l’équipe de la Sûreté du Québec (ou « SQ »).
En raison du COVID, la réciprocité immédiate n’avait pas été possible et ce n’est que cette année que j’ai eu la chance de pouvoir me rendre au Québec pour ce stage.
La Sûreté du Québec est un corps fort de plus de 8’000 collaboratrices et collaborateurs. À l’instar des polices cantonales, il s’agit d’une police provinciale. La SQ couvre les 1,6 millions de km² de la belle province, à l’exception des grandes villes, au service de plus de 2,7 millions d’habitants.
Il s’agit d’une grande institution qui est forcément inspirante tant au niveau de son organisation et de ses processus, mais également par rapport à sa culture d’entreprise et ses valeurs.
Et vous n’avez pas chômé ! L’inspecteur Brunelle vous avait organisé un programme riche pendant ces 7 jours.
C’est le moins qu’on puisse dire !
J’ai eu la chance de découvrir une vingtaine de domaines de la SQ tant au niveau de la gestion, de la lutte contre la criminalité que de la sécurité publique.
Si je devais relever les « highlights » de ce stage, je mentionnerais la rencontre avec l’État-major in corpore et en particulier avec Madame Johanne Beausoleil, directrice générale de la SQ depuis 2022. Je suis très reconnaissant du temps qui m’a été accordé pour échanger notamment au sujet des valeurs institutionnelles.
J’ai également pu participer au comité exécutif des crimes majeurs qui réunit, le temps d’une journée, des officiers de la SQ et des corps municipaux importants. Ce comité traite des problématiques criminelles communes afin de coordonner l’action et de garantir un niveau d’information uniforme dans toute la province. Il a été question de vols de DAB (ou « distributeur automatique de billets »), de violences domestiques, de disparitions, des problématiques que nous connaissons, mais également de lutte contre le proxénétisme, de lutte contre la corruption et des violences armées, des domaines qui nous sont moins familiers.
La journée en immersion au sein du poste de Victoriaville a aussi été riche en enseignements, au cœur de la vie des patrouilleurs qui quadrillent le territoire. Ce sont eux les premiers producteurs de sécurité au contact avec la population.
J’ai également eu la chance de visiter l’Assemblée nationale à Québec. La sécurité y est assurée par la SQ. Il y a 40 ans, le parlement avait subi une attaque.
L’inspecteur Brunelle a pris part au cercle des jeunes leaders de l’École nationale d’administration publique. Cette formation de 20 mois se termine par la présentation des travaux de recherche. Les thématiques de la cohorte de Cédrick ont traité du développement durable, de l’intelligence artificielle, des « nudge », de l’attractivité et de la relève dans l’administration publique et de l’innovation. Cet après-midi de présentations a été incroyablement intéressant.
De la mi-décembre 2023 à la fin de mars 2024, la SQ a inspecté environ 400 conteneurs au port de Montréal et y a découvert près de 600 véhicules volés. Le vol de véhicules est un fléau et les médias parlent de crise du vol de véhicules (plus de 10’000 en 2023 au Québec). Les véhicules volés sont destinés à l’exportation vers l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Amérique du Sud, et le port de Montréal est une plaque tournante. J’ai passé une journée au port de Montréal avec l’unité spécialisée à ouvrir des containers. Si on n’a pas vécu ça, on ne peut pas y croire : nous avons retrouvé plus d’une cinquantaine de véhicules en un jour !
Dernière expérience marquante : la nuit de patrouille avec l’unité dans le recueil du renseignement dans le domaine des bandes de motards criminalisées, de l’exploitation sexuelle et des gangs de rue. Après avoir surveillé un « stamm » des Hells Angels, nous avons écumé les bars à la recherche de jeunes issus des gangs de rue puis avons terminé la patrouille par le contrôle de bars de danseuses. Le but de cette unité est d’aller au contact, de nouer le contact, mais aussi de dénoncer les infractions et de déstabiliser les milieux criminels. Il n’y a pas d’endroits où l’équipe bigarrée de Stéphane ne va pas.



En quoi l’organisation et la gestion de leur Corps ressemblent-elles à celle de la Police cantonale valaisanne ?
Un état-major, une direction de la surveillance du territoire, une direction des enquêtes criminelles et des directions d’appui… on pourrait presque croire que la SQ s’est inspirée de l’organigramme de la Police cantonale valaisanne.
Et pas que de l’organigramme d’ailleurs. Même un grand corps comme la SQ connaît des contraintes liées aux restrictions budgétaires et des défis RH majeurs dans la relève des cadres et le recrutement, mais aussi dans la préservation du bien-être au travail des collaborateurs et collaboratrices, en lien notamment avec la charge de travail et la lourdeur administrative qui s’accroît.
Il y a aussi de grandes différences dans les problématiques opérationnelles à gérer. Qu’est-ce qui vous a marqué ?
J’ai déjà évoqué plus haut la crise des voitures volées.
Durant des années, les Hells Angels étaient l’organisation criminelle la plus influente et la plus puissante du Québec, particulièrement au niveau du trafic de stup. Aujourd’hui, les gangs de rue, qui veulent s’affranchir de la mainmise des Hells, les défient. La violence des règlements de comptes, filmés « pour l’exemple », est affolante. Les meurtres et les incendies criminels se multiplient.
D’une manière générale, la problématique des violences est au centre des préoccupations des forces de l’ordre. Les violences entre partenaires intimes, nos violences domestiques, font l’objet de réflexions afin de détecter les éléments de contrôles coercitifs, qui, au sein d’une relation, sont souvent précurseurs d’un acte violent. Il s’agit de violences verbales, économiques, physiques, psychologiques et sexuelles. Les agents sont formés à les repérer dès la première intervention afin de couper la spirale et de prévenir un événement plus grave.
La violence de rue, notamment dans les quartiers nord de Montréal, est également très préoccupante. Ça flingue tous les jours… La volonté des autorités est d’intervenir de manière proactive auprès des jeunes auteurs de violences armées, de manière collective en impliquant tous les acteurs et pas seulement la police. Cette approche oblige les policiers à ouvrir « leur chakras » et à admettre que parfois la seule répression n’est pas efficace et qu’il faut adopter une approche en travail social pour sortir ces jeunes de la violence.
Le Programme Bolo est une initiative sans précédent qui tire parti des réseaux sociaux, de la technologie et de nouveaux types d’engagement pour encourager les citoyens à garder l’œil ouvert pour les suspects les plus recherchés au Canada. Bolo pour « Be On The Lookout », c’est-à-dire être aux aguets, garder l’œil ouvert. Concrètement, il s’agit d’un programme qui rémunère tout informateur permettant d’arrêter un criminel recherché pour des faits graves. Par exemple, la SQ a activé ce programme canadien pour retrouver All Boivin, traqué notamment pour des affaires de stup. Une récompense de 250’000 $ canadiens est offerte. Je m’étais promis de ne pas rentrer en Suisse sans ce type… en vain, malheureusement.



Si l’on reprend la formule de Raymond W. Kelly, que retenez-vous des bonnes pratiques en vigueur au Québec ?
Un des enjeux stratégiques de la SQ pour 2023-2027 fait écho à la mutation du monde du travail et à la pénurie de main-d’œuvre. La SQ veut être un employeur attractif offrant une culture organisationnelle saine, inclusive et diversifiée. Pour la Directrice générale, la plus grande force de son corps de police est son capital humain et l’efficacité et la qualité des services dépendent notamment de l’état de santé physique et psychologique des personnes qui œuvrent en son sein, ainsi que de leur mobilisation pour la « cause SQ ».
La capacité de la SQ à apprendre de ses erreurs, à travers une culture de l’erreur, m’a aussi interpellé. Cela a notamment été le cas suite à l’affaire Carpentier, une affaire criminelle qui avait vu un père enlever et tuer ses deux filles de 6 et 11 ans avant de mettre fin à ses jours. Les corps avaient été retrouvés en forêt après 12 jours. L’opération de recherche menée par la SQ avait fait l’objet d’une enquête publique. Celle-ci avait mis au jour des lacunes qui ont fait l’objet d’une analyse et d’une refonte des processus internes. Concrètement, dans ces situations, les premiers instants sont cruciaux et il faut partir tout de suite en imaginant le pire scénario, quitte à redescendre par la suite.
Un projet de prévention routière, initié par Cédrick Brunelle quand il était en charge du secteur, m’a particulièrement marqué. Un tronçon d’une cinquantaine de kilomètres de la route 116 avait été particulièrement accidentogène et meurtrier (250 collisions dont 7 morts ou personnes grièvement blessées). Afin de sensibiliser les automobilistes, les photos de 4 jeunes victimes ont été placées stratégiquement aux endroits où elles ont trouvé la mort. Les familles n’ont pas été difficiles à convaincre. Une maman ayant dit que si l’histoire de son fils permettait de sauver ne serait-ce qu’une vie, il ne serait pas mort en vain. Cette campagne de prévention a eu d’importantes répercussions positives, bien au-delà du secteur concerné.
Chaque corps de police a son histoire propre et a connu ses « grandes affaires ». La SQ possède un musée qui est géré par un passionné d’histoire et de « vieilleries ». J’ai eu la chance de le visiter. Connaissant mon origine, le préposé a ressorti des armoires les épées saisies à Morin-Heights en 1994 dans ce qui a constitué le premier acte de la tragédie du Temple Solaire. Celles-ci avaient été modifiées afin d’y installer des systèmes de laser et de lumière permettant, je l’imagine, de faire croire aux fidèles qu’elles possédaient un pouvoir « magique ». On a négligé de conserver certains pans de notre histoire et c’est bien dommage. Je pense qu’on pourrait se lancer dans un travail de recherche pour alimenter l’histoire de la Police cantonale valaisanne.
Fort de cette expérience enrichissante, qu’est-ce que vous estimez être une force dans l’organisation de notre Corps ?
Je pense que nous avons la chance de bénéficier d’une grande liberté de manœuvre procédurale. Au Québec, et ce n’est pas inhérent à la SQ, tout est règlementé. Et gare à celui qui ne respectera pas le processus… le Bureau d’enquête indépendant, le code de déontologie et le règlement sur la discipline « veillent ». Par exemple, sur le terrain, les agents ne disposent pas de la même liberté que nous pour entreprendre des contrôles. Pour un simple contrôle d’identité, si les agents soupçonnent une personne de détenir un élément délictuel, ils ne peuvent pas juste « lui faire les poches » mais les droits Miranda doivent lui être notifiés. Tout est plus compliqué par rapport à chez nous et ce cadre ultra-réglementé pourrait avoir comme conséquences de restreindre la proactivité des agents.


