Portrait de la nouvelle Procureure Générale Beatrice Pilloud

Il y a un peu plus de trois mois, le Grand Conseil a nommé Mme Beatrice Pilloud à la tête du Ministère public. Nous allons à sa rencontre un après-midi de fin février, les températures printanières nous font presque oublier que nous sommes encore en hiver. Mme la Procureure Générale m’accueille dans son bureau situé sous les combles de ce vénérable bâtiment qui abritait autrefois la bibliothèque cantonale.
Beatrice Pilloud - Procureure Générale

Naissance: 20 avril 1975

Brevet en droit: 1999, à l’Université de Neuchâtel

Avocate indépendante: dès 2002

Election à la tête du Ministère public: 15 novembre 2023

Prise de fonction: 1er janvier 2024

Nous prenons place dans une pièce annexe et l’entretien débute :

Bonjour Mme la Procureure Générale, depuis votre nomination le 15 novembre dernier, vous avez été très sollicitée par les médias, et vous avez pris vos fonctions le 1er janvier 2024. Comment allez-vous ?

Mais je vais super bien. Je suis très contente, on m’a fait un accueil chaleureux, que ce soit ici au Ministère public ou à la Police cantonale. En effet, j’ai demandé à rencontrer votre Etat-major, dans le cadre des discussions, on m’a proposé ainsi qu’à mon adjointe Catherine Seppey, de visiter la gendarmerie et la police judiciaire, ce que j’ai accepté avec plaisir.

Ces visites ont été de véritables découvertes. Je dois avouer qu’elles m’ont sortie de ma zone de confort. Je n’aime pas être conduite ; en voiture je conduis, je ne suis jamais passagère et c’est plutôt moi qui décide du programme… Mais ces jours-là, vos deux lieutenants-colonels m’ont conduite et m’ont guidée. J’ai découvert un monde extraordinaire de passionnés et j’ai appris énormément de choses, même si j’en connaissais déjà pas mal. Je tiens à vous remercier tous pour ce temps consacré et la passion avec laquelle vous exercez votre métier. Vous vous dépensez sans compter et finalement vous le faites pour nous et je vous en félicite. Cette passion, je l’ai vue dans les regards de chaque agent que j’ai croisé et je me suis laissée conduire avec reconnaissance. Tant Catherine que moi-même avons adoré.

Nous avons terminé nos visites à la Police judiciaire et je pense que nous avons parcouru environ deux tiers de la gendarmerie. Il me reste notamment la visite de la gendarmerie à l’hôtel de police dans quelques jours. Je dois dire que la Police cantonale nous a réservé un accueil qui est juste extraordinaire. Avec Catherine, nous avons été honorées d’avoir pu faire ces visites. Chaque entité nous a fait une présentation détaillée et nous avons pu échanger librement de manière informelle. Cependant, j’ai clairement pris conscience de la nature hautement organisée de votre corps de police et du formel militaire auquel vous êtes soumis. J’ai tout de même demandé un temps d’adaptation en ce qui concerne vos titres, grades et fonctions… et (rires) je vous remercie pour le petit aide-mémoire sur les insignes de grades que vos collègues m’ont fourni.

Je suis arrivée avec de nombreuses questions et un vif intérêt. Dans ma pratique d’avocate pénaliste, j’étais moins confrontée à tout ce « background » police et tout l’effectif qui est en place. J’étais plus sur le front en confrontation directe aux côtés du client et pas au fait de tout ce qui se passait en amont. Lors de notre visite, j’ai pu questionner librement tout le monde, c’est parfait, magique, magistral.

Notre police est véritablement remarquable !

Je ne peux pas vous contredire. Sincèrement je remercie du fond du cœur tous vos collègues qui nous ont accueillies durant ces visites. Mon adjointe et moi-même avons vécu des moments inoubliables. Je pense qu’ils ne réalisent peut-être pas à quel point ces échanges étaient importants pour nous.

Catherine (Seppey) et moi sommes très complémentaires. Ce à quoi Catherine a été confrontée durant 13 ans à l’office régional du Valais Central, ses connaissances du terrain et de la police complètent à merveille mon expérience en tant qu’avocate. Nous avons visité la salle LAVI (salle réservée aux interrogatoires de victimes équipée d’un miroir sans tain …) à cet endroit trône un canapé jaune, que Catherine n’avait encore jamais vu. Personnellement j’ai passé passablement de temps dans cette salle d’audition, sur ce canapé. Catherine l’a découvert à ce moment-là, c’est ce genre de détail qui souligne notre complémentarité.

Chacune de vous a développé des liens particuliers avec notre service de police.

En effet, en tant que défenseur, j’ai passé énormément de temps avec les agents, des nuits complètes, notamment lors d’affaires liées aux stupéfiants. Ce travail de nuit est particulier, il permet de tisser des liens différents. J’ai notamment eu un échange avec l’une de vos collègues du Bas-Valais, qui m’a dit « Tu vas nous manquer… ». J’ai été touchée.

En tant qu’avocate, j’ai toujours défendu le bien du client sans jamais être « en frontal » ni avec le procureur, ni avec la police. J’ai toujours estimé que la confrontation n’était pas dans l’intérêt de mes clients.

Comme Procureure Générale, je tiens à conserver ces excellents rapports avec la police. Je reste disponible pour les agents et mes collègues. J’encourage les agents à ne pas hésiter à appeler le Procureur en charge du dossier. Un appel téléphonique est souvent plus efficace qu’un long e-mail. Je les incite donc à privilégier ce mode de communication.

Les médias ont beaucoup fait état des dysfonctionnements du Ministère public valaisan et du manque de communication. Quelle est votre position à ce sujet ?

En effet, le Ministère public a passablement souffert d’un déficit d’image, malgré le travail remarquable qui y est accompli. Dans son ensemble, le Ministère public du Haut, du Centre, du Bas, de l’Office central… tout le monde travaille magnifiquement bien et ce n’est pas assez mis en valeur. Il est essentiel pour moi que ce travail soit reconnu.

Comment faire pour que tout ce travail soit mis en valeur, du personnel administratif aux magistrats, où tout le monde tire à la même corde ? J’entends mettre en avant ce travail et expliquer aux gens tout ce qui est effectué ici et dont ils ne sont pas nécessairement conscients.

Jusqu’à présent, seul le négatif a été mis en lumière. On a évoqué que les quelques dossiers qui prennent des étagères complètes de classeurs, qui sont extrêmement lourds et complexes. Par contre les plus de 12’000 dossiers qui sont traités chaque année, personne n’en parle, ni des 3’000 dossiers supplémentaires pris en charge au cours des trois dernières années, le tout avec un nombre de magistrats inchangé. Je tiens à saluer une fois de plus le travail formidable accompli par tous.

Je suis consciente que nous devons rétablir la confiance et cela passe par la communication. Je veux une communication qui soit dans le respect de l’instruction, c’est une obligation. Mais également dans la valorisation du travail qui est effectué et surtout dans le but de rassurer la population.

La police est le bras armé du Ministère public et une collaboration étroite entre nos deux institutions est essentielle. Cette collaboration doit s’accompagner d’une communication étroite et transparente. Nous devons montrer que nous travaillons main dans la main.

C’est un peu comme dans une équipe de football où les joueurs et l’entraîneur travaillent ensemble vers un objectif commun, ce qui renforce la confiance et amène au succès. D’une part la population aura confiance et d’autre part certains se rendront compte qu’ils ne peuvent pas passer entre les mailles du filet… c’est l’union qui fait la force.

Une autre chose importante est de rappeler qu’il faut arrêter de couper les cheveux en quatre. Nous devons être efficaces. Chacun doit jouer son rôle. Nous, au Ministère public, devons appliquer la loi tandis que la police doit établir les faits en passant en revue tous les éléments constitutifs objectifs et subjectifs, après le droit c’est à nous de l‘appliquer.

Pour être efficaces, il est crucial que la police soit présente sur le terrain. Pourquoi ? Un simple exemple : la présence d’un véhicule de police qui roule à 120 km sur l’autoroute incite les autres usagers à suivre cette vitesse. De même, une présence policière aux heures de pointe dans les gares dissuade les individus de commettre des actes répréhensibles. Votre présence lors de grandes manifestations contribue également à leur réussite.

Plus de présence policière sur le terrain veut dire moins d’infractions, moins de travail dans les postes de police, moins de travail au Ministère public et dans les tribunaux, c’est une chaîne d’efficacité. Après est-ce possible ? C’est une autre histoire, plus complexe.

En parlant de présence sur le terrain, on vous dit lève-tôt… même très tôt.

Mon réveil sonne usuellement à 4h30. Je suis une lève-tôt, convaincue que c’est le meilleur moyen de démarrer ma journée efficacement en étant tôt sur mon lieu de travail. Mon rythme de sommeil et moi ne sommes pas toujours bien synchronisés et il m’arrive parfois de me lever avant que le réveil ne sonne. Cependant, j’ai conclu un accord avec François, mon mari : je ne quitte pas mon domicile avant 5h00.

Cette routine matinale est ancrée depuis de nombreuses années, mais je reste également attentive à mes propres besoins ainsi qu’à ceux de ma famille. Il m’arrive donc d’arriver bien plus tard au travail surtout lorsque mon sommeil me le permet.

D’où vous vient cette belle énergie ?

De ma famille, composée de mon mari et de mes enfants, ils sont mon pilier central, mon lieu « ressource ». Je suis souvent loin, mais nous passons des moments précieux et de qualité, ensemble.

Avez-vous une anecdote amusante ou mémorable de votre vie que vous voudriez partager avec nous ?

J’en aurais beaucoup à raconter, mais c’est compliqué de les résumer.

Je me souviens d’un interrogatoire qui a pris une drôle de tournure, lorsque mon client a dû être maîtrisé par vos collègues au moyen de menottes. Il y a eu un moment de flottement car ce client s’exprimait en langage des signes…

Je relèverais une autre anecdote particulière : depuis ma candidature, en l’espace de 9 mois j’ai eu l’occasion de pratiquer auprès de tous les postes de police et les tribunaux. C’était comme si une tournée d’au revoir avait été organisée pour l’avocate pénaliste que j’étais. J’ai pu ainsi faire mes adieux à ma longue carrière en revivant tous ces moments auxquels j’allais renoncer en devenant Procureure Générale. Merci la vie.

Un moment fort ?

Plus qu’un moment fort, c’était un moment puissant ! Le jour où j’ai prêté serment. Ça m’a pris émotionnellement de manière très intense. Dans ce sens, j’appréhende un peu l’assermentation de vos aspirants. L’atmosphère est unique et lorsque résonne la fameuse marche « Marignan » l’intensité monte d’un cran, c’est véritablement l’hymne le plus beau.    

C’est une bouffée de bonheur ?

Pour moi le bonheur peut surgir de partout. Il suffit de savoir l’accueillir, d’ouvrir son cœur et ses yeux : un lever de soleil, une promenade matinale dans les rues encore désertes, jouer aux cartes avec son enfant… Les occasions de saisir des moments de bonheur peuvent être nombreuses tout au long de la journée, c’est un état d’esprit. 

Quels sont vos prochains défis et comment les abordez-vous ?

La liste est longue comme un jour sans pain. J’aimerais avoir des journées de 48 heures, ce n’est malheureusement pas possible.

Heureusement pas possible…

Oui heureusement, mais mon prochain défi personnel est de me remettre au sport. Sur le plan professionnel, il consiste à accomplir tout ce que j’ai l’intention de faire. Mais dans un premier temps mon défi vise à restaurer l’image du Ministère public.

Qui vous inspire au quotidien ?

Mon mari qui est à mes côtés depuis plus de 30 ans.

Quel est votre plus grande fierté personnelle ?

Ma famille.

Et professionnelle ?

Ma plus grande fierté professionnelle réside dans l’aide que j’ai pu apporter aux personnes durant ma carrière d’avocate et j’espère en avoir aidé quelques-unes. Pour répondre à votre question, je ne recherche pas de remerciements lorsque j’aide quelqu’un, si j’ai pu faire une différence positive ça me suffit.

Je me souviens d’un couple, consommateurs de crack, parents de jeunes enfants, lui était tombé dans le trafic de cocaïne. Grâce à une collaboration étroite avec la police, on a pu aider activement cette famille et notamment dans la protection des enfants. Le succès avec cette famille n’est pas que de mon fait mais bien d’un travail main dans la main avec les policiers. Cette histoire compte parmi mes réussites professionnelles les plus marquantes.

Je pense aussi aux victimes que j’ai pu aider en faisant simplement mon travail, leur reconnaissance, même non exprimée, renforcent ma conviction de l’importance de mon implication.

Vos valeurs et convictions sont-elles les mêmes qu’à 20 ans ?

Depuis toute petite j’ai voulu aider comme on dit « la veuve et l’orphelin », les plus vulnérables de notre société. J’ai toujours voulu aider les personnes qui n’arrivaient pas à se défendre elles-mêmes. Je peux dire que ce sont mes valeurs de base.

Je me suis aussi retrouvée à devoir défendre des assassins, des violeurs, des pédophiles. J’ai dû me questionner, moi qui voulais défendre les plus vulnérables. Mais en fait, j’ai eu énormément de chance, même parmi ces gens que j’ai défendus, j’ai toujours réussi à trouver un fond qui était bon. Je me suis toujours accrochée à cela. Chaque humain a sa propre détresse. Chaque humain mérite d’être défendu. 

Mes valeurs sont toujours restées les mêmes, avec certainement des évolutions au fil du temps. Mais je pense que ces valeurs d’aide, ces valeurs de l’humain sont profondément ancrées en moi.

Peu importe la nature du crime, chacun mérite un avocat pour sa défense ?

Oui, ils doivent pouvoir bénéficier d’une défense efficace.

Du point de vue de la Procureure Générale que je suis, ils méritent une justice qui les condamnera à une peine qui est juste. C’est surtout ça qui est demandé à la justice, que la peine soit juste, sans oublier le respect dû à chaque individu.

Il ne faut jamais oublier, que ce soit du côté de la police, du procureur ou de l’avocat, nous interagissons avec des êtres humains, chaque prévenu est l’enfant de quelqu’un. Il ne faut jamais, jamais, l’oublier.

Quels conseils donneriez-vous à ceux/celles qui aspirent à suivre vos traces ?

Le respect est fondamental : respecter les autres et se respecter soi-même. C’est la base et depuis ce principe, il faut agir au plus proche de sa conscience.

Une citation qui vous inspire ?

J’ai déjà eu à réfléchir à froid à cette question et la première phrase qui m’est venue est « une main de fer dans un gant de velours ». Elle illustre la combinaison entre fermeté et douceur, une solidité qui ne renonce pas à la gentillesse, au respect.

Quelques questions rapides et spontanées :

Votre bruit préféré ?

La neige qui tombe, l’atmosphère feutrée.

Votre plat préféré ?

Je ne sais pas si c’est politiquement correct de le dire, mais un bon morceau de bœuf avec une sauce café de Paris faite maison… et non, vous n’aurez pas la recette.

Un livre lu récemment ?

Je n’ai plus beaucoup de temps pour lire, mais je lis volontiers des auteurs locaux. Actuellement c’est un livre de Jeff Roux, « Rencontre en prison, au cœur de leur nuit ».

Ce qui vous irrite le plus ?

La mauvaise foi, elle me fait sortir de mes gonds.

Des qualités que les autres ont remarquées chez vous ?

Ma spontanéité et mon ouverture d’esprit.

Votre philosophie ?

 Aimer ce que l’on fait.

Votre plus vilain défaut ?

Ma spontanéité (rire) et aussi la gourmandise.

Votre remède quand ça va mal ?

Il peut y avoir plusieurs sens à cette question. J’y apporterai plusieurs réponses : la famille, se ressourcer à la montagne, lire un bon livre…

Votre endroit préféré pour vous détendre ?

La montagne et particulièrement Zermatt.

Un film qui vous a profondément touché(e) ?

Comment vous dire, j’ai un poste de télévision à la maison et je ne sais pas s’il fonctionne.

Quelle est votre saison préférée et pourquoi ?

Mais toutes !

La dernière chanson que vous avez écoutée en boucle ?

Livin’on a Prayer de Bon Jovi.

Un voyage qui vous a laissé des souvenirs impérissables ?

New York en famille, nous sommes partis pour 3 jours afin d’y fêter Noël et nous avons fini par y séjourner 14 jours. Le COVID s’est invité dans notre voyage. Différentes circonstances ont fait que ce voyage m’a laissé un souvenir, doux et impérissable…

Quel est votre animal préféré et pourquoi ?

C’est Bob, c’est un chat qui nous a choisis. Nous l’avons ramené à son propriétaire, mais il est revenu. C’est lui qui nous a adopté.

Votre moment de la journée préféré et pourquoi ?

Au plan professionnel j’en citerais deux. En premier les premières heures du matin, lorsque je me trouve seule au bureau. Dans la deuxième phase, j’aime le moment où tout s’anime, l’arrivée de mes collaborateurs, les salutations matinales… c’est le moment où l’on tisse de nouveau des liens, un moment de reconnexion avec l’autre.

Merci pour votre temps Mme le Procureur.

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